Convention d’Istanbul, 2 ans plus tard

Violences faites aux femmes: une bataille à gagner
Un nouvel outil pour les ONGs pour lutter contre les violences faites aux femmes

Les violences sont toujours monnaie courante pour de trop nombreuses femmes de par le monde et dans la région euro-méditerranéenne en particulier. Cependant, des outils existent pour protéger les femmes et lutter pour leurs droits. Pour le second anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention d’Istanbul, EuroMed Droits a récolté des témoignages de ses organisations membres engagées dans la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes.

La “Convention sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et la violence domestique” est un traité du Conseil de l’Europe, signé le 11 mai 2011. Cette convention est une étape importante dans l’élimination des violences faites aux femmes car elle est légalement obligatoire pour les signataires et est ouverte à signature aux Etats non-membres de l’UE, comme les pays du Sud méditerranéen. A ce jour, la Convention compte 42 pays signataires, dont 22 l’ont ratifiée.

La Convention reconnait enfin le rôle primordial des ONGs dans l’aide aux victimes de violence et cherche à accroïtre les soutiens financiers et politiques de leur travail.

Au travers de témoignages d’activistes pour les droits des femmes, EuroMed Droits et ses organisations membres et partenaires tentent de sensibiliser sur les aspects pionniers de cette Convention et appellent toutes les organisations féministes au travers de la région euro-med à utiliser cette convention pour être mieux équipées pour améliorer la vie des femmes et enfants affectées par la violence.

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CHYPRE – Christina Kaili

Mediterranean Institute of Gender Studies (MIGS)

Quel est l’aspect qui vous semble le plus intéressant/novateur dans la convention d’Istanbul ?

La Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique est le premier instrument juridiquement contraignant qui prévoit des mesures spécifiques pour la prévention, la protection et la poursuite de toutes les formes de violence contre les femmes. L’aspect le plus intéressant de la Convention est le fait qu’elle oblige les Etats membres à établir des mécanismes d’évaluation des risques, afin de faciliter le signalement des cas de violence contre les femmes (y compris la violence domestique, le harcèlement sexuel, le viol, etc.) et pour garantir un soutien entre agences systématique et cohérent aux victimes.

Comment votre organisation compte-t-elle se servir de la convention pour faire avancer la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Au cours des 10 dernières années MIGS a mis en œuvre des interventions de sensibilisation auprès des jeunes, en utilisant une variété de méthodes interactives, non-formelles et basées sur l’expérience. Les droits humains et l’égalité entre les genres étayent ces ateliers. Nos interventions éducatives visent à sensibiliser les jeunes sur les stéréotypes de genre et sur les inégalités entre les sexes qui exacerbent les violences faites aux femmes, en particulier les violences domestiques. Ces actions constituent un accomplissement précis de l’article 14 de la Convention concernant l’éducation, qui indique clairement que le materiel doit être adapté aux capacités en évolution des apprenants et devrait être inclus non seulement dans un cadre formel (aux écoles), mais aussi dans des contextes non formels (installations sportives, culturelles, de loisirs et les médias). Ce matériel porte sur l’égalité des sexes, les rôles des genres non stéréotypés, le respect mutuel, la résolution des conflits non-violente dans les relations interpersonnelles, le droit à l’intégrité personnelle .

Après plus de 2 ans de plaidoyer, le Gouvernement de la République de Chypre a signé en Juin 2015 la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Mais nos efforts ne sont pas encore terminés, puisque nous sommes en train de préconiser et de fournir de l’expertise, un soutien technique et des recommandations aux organismes gouvernementaux sur les changements juridiques et politiques nécessaires pour ratifier cette convention. Plus précisément, le MIGS est en étroite collaboration avec le ministère chypriote de la Justice, fournissant un appui technique à travers l’élaboration des recherches juridiques sur les violences faites aux femmes et sur les mécanismes d’évaluation des risques, qui pourraient servir de bons exemples pour Chypre – où il y a des défis dans l’évaluation appropriée des risques des cas de violences faites aux femmes.

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FRANCE – Floriane Leclercq

European Association for the Defense of Human Rights (AEDH)

Quel est l’aspect qui vous semble le plus intéressant/novateur dans la convention d’Istanbul ?

Cette Convention est le premier traité européen contraignant spécifiquement consacré à la prévention et à la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique. Il est considéré comme le plus ambitieux des traités sur le sujet : il vise toutes les violences (psychologique, physique, sexuelle, harcèlement, mariage forcé, mutilations génitales féminines, avortement et stérilisation forcés, qui constituent des infractions pénales selon la Convention), tous les publics (les femmes mais aussi les hommes et les enfants victimes de violence domestique) et prévoit enfin toutes les mesures (de prévention, de protection et de sanction).

Une autre caractéristique novatrice est la reconnaissance dès le préambule de la nature structurelle des violences à l’égard des femmes et la nécessité de s’attaquer aux racines mentales et sociétales de la discrimination de genre. La Convention rejette toute justification des violences au nom de la culture, de la coutume, de la religion ou de la tradition.

Comment votre organisation compte-t-elle se servir de la convention pour faire avancer la lutte contre les violences faites aux femmes ?

L’AEDH est composée de 31 organisations membres dans 23 pays européens. La majorité de ces pays n’a pas encore ratifié la Convention. L’AEDH participe à la sensibilisation en informant ses membres des thèmes de la Convention et les invitant à relayer les campagnes des ONG partenaires pour une ratification et une mise en œuvre de la Convention.

L’AEDH soutient également la ratification de la Convention par l’Union européenne, actuellement en cours d’approbation par le Parlement.

L’AEDH suivra les évaluations périodiques des pays adhérents à la Convention et participera dans la mesure du possible à ces évaluations, en envoyant des informations au GREVIO (le comité des experts indépendants chargés de suivre la mise en œuvre de la Convention). Le rôle des associations dans la mise en œuvre et l’évaluation des politiques est d’ailleurs l’un des thèmes clés de la Convention.

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MAROC – Nabia Haddouche

Democratic Association of Moroccan Women (ADFM)

Quel est l’aspect qui vous semble le plus intéressant/novateur dans la convention d’Istanbul ?

D’une part c’est un traité novateur en tant que cadre légal visant à la fois la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Il oblige les Etats qui l’ont ratifié à prendre des mesures spécifiques pour lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, et à protéger et réhabiliter les victimes.

La convention est intéressante par sa pédagogie et par son approche globale qui prône une panoplie de mesures adéquates en termes de lutte et de protection notamment par la formation des professionnels qui prennent en charge les victimes, de lancement de campagnes régulières de sensibilisation, l’inclusion dans les cursus pédagogiques de la formation sur l’égalité des sexes et la résolution non violente de conflits dans les relations interpersonnelles, l’élaboration des programmes thérapeutiques pour les auteurs de violence domestique et les délinquants sexuels, le travail avec des ONG et l’implication des médias dans l’élimination des stéréotypes de genre et dans la promotion du respect mutuel. Il est vrai que certaines de ces mesures sont prises au niveau du Maroc, mais ne sont pas pour autant coordonnées et ne reçoivent pas les budgets nécessaires.

D’autre part, ce traité est ouvert à la signature par les pays non membres du Conseil de l’Europe, en l’occurrence les Etats du pourtour de la Méditerranée, qui peuvent donc y adhérer. Ceci est une première et ce qui est novateur. Les dits Etats peuvent également intégrer les dispositions de la convention d’Istanbul sans faire parties de la convention, et c’est ce qui va encourager nos Etats à améliorer leur arsenal juridique et leurs mesures de prévention et de protection.

Un autre avantage de la convention est qu’on peut utiliser son cadre comme outil de diagnostic et d’évaluation institutionnel des efforts fournis dans le cadre législatif, dans la protection et la prévention des VFF et à avoir une visibilité pour les efforts qui restent à faire dans l’avenir.

Comment votre organisation compte-t-elle se servir de la convention pour faire avancer la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Malgré les efforts fournis par les acteurs institutionnels et non institutionnels en termes de lutte contre les VFF, les chiffres dévoilés par la dernière enquête nationale du Haut-commissariat au plan (HCP) sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes sont alarmants et démontrent le long chemin qui reste à parcourir dans la lutte. Sur base de nos connaissances du contexte marocain et des résultats des réformes, et en utilisant l’approche globale de la convention, nous pouvons :

Interpeller les décideurs politiques en utilisant les chiffres alarmants de l’enquête sur l’ampleur du phénomène ; et sur leurs efforts de lutte contre les VFF qui doivent se rapprocher des dispositions de la convention ;
Mener des actions de sensibilisation et de formation sur la Convention d’Istanbul au profit des acteurs de la société civile, des ONG et des femmes parlementaires pour réussir une bonne mobilisation autour de la convention ;
Faire du plaidoyer au niveau national et avec le Conseil de l’Europe qui est un partenaire clé du gouvernement marocain dans le domaine des droits des femmes et la lutte contre les VFF, pour amener le Maroc et son gouvernement à signer et à ratifier la convention, d’autant plus qu’il était parmi les Etats qui ont participé à son élaboration.

L’ADFM estime que le contexte est favorable, car le Maroc, qui est dans un processus de révision de l’arsenal juridique, est un partenaire privilégié de l’Europe dans le cadre de la politique de voisinage et est donc un pays qui peut être préparé pour la ratification de la convention d’Istanbul.

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SYRIE – Farah Hwijeh

Common Space Initiative

Que voyez-vous comme obstacle majeur dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays?

La protection dans le cadre légal est le problème principal qui doit être résolu et qui demande le plus d’attention et de travail. Au-delà de l’absence de cadre légal, l’obstacle majeur est la violence due à la guerre, qui avec toutes ses dimensions sociales, a généré toutes sortes de masculinités. La violence à l’encontre des femmes prend de nombreuses formes: pas seulement la violence armée, mais aussi la violence domestique et communautaire, en utilisant la religion et l’extrémisme religieux qui usent le corps de la femme pour asseoir leur dominance dans la société et en les forçant à se battre.

L’objectif doit désormais être d’arrêter cette guerre et ensuite inverser les changements qui ont été effectuées sur toute une communauté. Cela prendra du temps et nécessitera d’habiliter les femmes à avoir un rôle positif dans la consolidation de la paix. D’un autre côté, nous ne pouvons pas ignorer la violence qui résulte des politiques des donateurs qui sont basées sur la création de concurrence néfaste pour le financement plutôt que sur l’intégration et la concurrence positive.

Dans la lutte pour l’élmination des violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer un accomplissement majeur?

Je citerais deux points: le nombre croissant de groupes de femmes ou féministes qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à changer la perception de la participation des femmes au travail et leur capacité à tirer profit d’une mauvaise situation pour promouvoir un engagement positif et effectif des femmes.

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TUNISIE – Raoudha Gharbi

Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH)

Quel est l’aspect qui vous semble le plus intéressant/novateur dans la convention d’Istanbul ?

Faisant suite à la CEDAW qui a identifié la discrimination comme étant la cause de la privation des femmes de tous leurs droits humains, la Convention d’Istanbul se rajoute à la première en mettant en valeur l’idée que les violences contre les femmes se nourrissent des discriminations dont elles sont victimes.

L’importance de la Convention d’Istanbul réside dans l’identification des conduites violentes et des traitements dégradants afin de les supprimer des relations sociales, tant dans les sphères publique que privée. Faut il rappeler que les châtiments corporels continuent à être considérés comme le moyen le plus sûr d’infléchir le comportement des enfants et qu’ils sont encore largement utilisés dans la socialisation familiale et scolaire.

Cet instrument juridiquement contraignant contribuera à dissuader les conduites violentes, tandis que la sensibilisation sur les principes de la Convention favorisera un changement des représentations sociales encore largement tolérantes à l’égard de ces conduites.

Dans la lutte pour l’élmination des violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer un accomplissement majeur?

Le travail d’information et de sensibilisation désormais entrepris dans le cadre de la LTDH ,profitera aux militants de la Ligue et sera mis à profit pour un plus grand rayonnement sur les milieux associatifs et sur l’opinion publique.

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TURQUIE – Lavinia Spennati

Chargée de programme Egalité des Genres et Droits des Femmes à EuroMed Droits

Quelle est la situation des violences contre les femmes en Turquie ?

Le premier pays à avoir signé la Convention d’Istanbul est la Turquie, grâce aux efforts de plaidoyer des mouvements féministes. Depuis, le pays a adapté ses lois pour les aligner avec cet instrument régional.

Cependant, les violences conjugales et sexuelles, les crimes soi-disant d’honneur et le trafic d’êtres humains sont toujours largement répandus et affectent les vies de nombreuses femmes. Avec plus de 1400 femmes tuées entre 2010 et 2016, la Turquie a un des taux de féminicides les plus hauts de la région.

La Turquie a adopté un cadre légal complet, mais son implémentation demeure un sérieux défi et des efforts majeurs sont nécessaires pour réellement aller de l’avant. Suite à l’adoption de la « loi sur la protection de la famille et la prévention des violences faites aux femmes (N.6248) », le gouvernement turc a établi plusieurs Centres d’observations pour la prévention de la violence (ŞÖNİM), chargés de surveiller et soutenir l’application de la loi. Et pourtant, de nombreuses ONG rapportent qu’il n’y a pas assez de centres et qu’ils sont difficilement accessibles aux femmes et donc inefficaces.

En plus des difficultés pratiques, la réapparition des interprétations plus conservatrices du rôle de la femme dans la société turque affecte directement la situation des femmes dans les sphères privées et publiques.

Que peuvent faire les organisations féministes pour utiliser la Convention si elles veulent faire bouger les choses sur le terrain et dans les vies de nombreuses femmes victimes de violence ?

La Turquie s’est engagée à mettre en place des mesures complètes pour lutter contre les violences faites aux femmes en accord avec la Convention d’Istanbul. Ces mesures incluent des provisions présentes dans la Loi sur la protection de la famille et la prévention des violences faites aux femmes ainsi que dans plusieurs articles réformés du code pénal.

Les ONG peuvent se servir de ces instruments pour surveiller et s’assurer de la correcte application des lois sur le terrain et elles peuvent fournir des informations sur les éventuels manques de cette application aux institutions compétentes. Ceci inclue donner des opinions sur le budget alloué pour mettre en place ces mesures promises.

Toutes les ONG féministes peuvent contribuer au travail du GREVIO (le comité des experts du Conseil de l’Europe qui évalue l’application de la Convention d’Istanbul par les pays qui l’ont ratifiée) en envoyant des informations ou des rapports via le questionnaire en ligne avant février 2017. Le GREVIO soumettra un rapport sur la Turquie au Comité des Parties du Conseil de l’Europe en juin 2017. En soutenant le travail du GREVIO, les ONGs peuvent ainsi renforcer l’impact de leurs efforts de plaidoyer au niveau national.