La crèche de l’égalité

DANS cette crèche d’un nouveau genre, il n’y a pas de petits garçons ni de petites filles. Mais rien que des « amis ». Au nom de l’égalité entre les sexes, à Nicolaigarden, mi-crèche, mi-école maternelle, qui accueille 115 enfants entre 1 et 6 ans, on a décidé de bannir toute référence masculine ou féminine. Une expérience qui s’étend aujourd’hui à Stockholm, où cinq établissements certifiés LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans) ont déjà ouvert leurs portes.

Première leçon, supprimer les pronoms personnels « lui » et « elle » (« han » et « hon » en suédois). Deuxième leçon, adopter « hen », un terme neutre qui n’existait pas en suédois il y a quelques années encore, mais qui s’est développé dans les milieux homosexuels.

Troisième leçon, « laissons chacun être comme il veut », comme le proclame, sur un poster, un petit blond virevoltant dans une robe rose. « Nous ne disons jamais “les filles” ou “les garçons”, explique Lotta Rajalin, initiatrice de cette méthode, qui supervise les cinq établissements. Et par exemple, quand un docteur ou un plombier vient à l’école, nous employons le terme “hen”. Les enfants peuvent donc imaginer un homme ou une femme. Cela élargit leurs vues. »

Dans son bureau pavoisé de petits drapeaux arc-en-ciel, la directrice va même plus loin, en prenant une pomme : « Et pourquoi on ne dirait pas “hen äpple” ?, lance-t-elle. On emprunte des mots aux Américains, aux Finlandais, le langage évolue tous les jours ! Et rien qu’avec les mots, on peut changer beaucoup de choses… » De plus en plus utilisé, notamment à l’université, le mot « hen » vient de faire son entrée dans l’encyclopédie suédoise.

N’est-ce pas dangereux de « neutraliser » ainsi le sexe d’un enfant ? « Ce n’est pas sur le sexe biologique, mais sur le sexe social que porte notre travail, répond la directrice. Nous ne voulons pas transformer les filles en garçons, mais seulement les laisser devenir homo, bi ou trans si elles le veulent. C’est ça, les droits des êtres humains ! » À Nicolaigarden, les poupées côtoient les tracteurs, les jeux de construction sont rangés près des cuisines en plastique, de manière à encourager indistinctement garçons et filles à se les approprier.

Cendrillon, « truffé de clichés sexistes »

« Comme nous les appelons “les enfants”, ou “les amis”, ils peuvent choisir leur activité sans subir la pression du genre, précise la directrice. On veut leur faire découvrir tout ce que la vie peut avoir à offrir, et pas seulement la moitié ! Car que vous soyez un garçon, une fille, ou quelque part entre les deux, vous avez le droit d’avoir les mêmes sentiments ». « Parfois, ils jouent à “comme à la maison”, raconte encore Lotta Rajalin, et le rôle de la maman est déjà pris. Eh bien, on leur suggère qu’il y ait trois ou quatre mamans… » Autre variante, « papa, papa, et enfant adopté ».

Ne cherchez pas Cendrillon, La Petite Sirène ni d’autres contes « truffés de clichés sexistes » dans la bibliothèque. Sur les rayonnages, on trouve plutôt des livres « modernes » traitant de l’homosexualité, de la transsexualité ou de l’adoption… Comme cette série « innovante » qui décrit, en utilisant le pronom « hen », les aventures d’un lutin asexué. Ou l’histoire des deux papas girafes, qui finissent par adopter un bébé crocodile. « Les contes classiques, on présume que les enfants les ont chez eux, se justifie Lotta Rajalin. Il peut nous arriver d’en lire certains, comme Le Petit Prince, par exemple, pour leurs qualités littéraires. » « Mais alors, poursuit- elle en prenant une grosse voix de grand-père, on leur explique que c’était il y a très très longtemps et que le monde est différent maintenant… » Quant aux comptines, on peut bien les réécrire un peu, « pour les rendre un peu plus neutres… »

Depuis 1998, la loi impose aux écoles et même aux jardins d’enfants – l’école commence à six ans en Suède – de promouvoir l’égalité entre garçons et filles. En 2008, c’est un programme de 12 millions d’euros qui fut mis en place, afin d’éliminer les stéréotypes. Il est désormais courant de faire appel à des « pédagogues de genre » pour aider les instituteurs dans cette mission.

Mais ils ne sont pas tous d’accord avec les méthodes de Lotta Rajalin…

« C’est important pour construire notre identité de savoir si on est un garçon ou une fille !, s’exclame Kajsa Wahlström, chercheuse spécialisée

dans les questions de genre. Moi, je préfère dire, “Tu es un garçon et tu peux aussi faire la vaisselle”. Effacer les sexes, c’est une autre forme de discrimination… »

Présidente de l’Inter-LGBT suédoise, Ulrika Westerlund ne veut pas non plus « supprimer les genres ». « Beaucoup de gens veulent être appelés “hen” car ils ne s’identifient pas à “han” ou “hon”, affirme-t-elle. Nous pensons que toutes les identités doivent être respectées et nous demandons juste que chaque enfant puisse grandir comme il le veut. »

Les parents, en tout cas, ne semblent pas avoir de scrupules. La liste d’attente, pour rentrer dans une de ces écoles, est très longue. Et personne

n’en a jamais retiré son enfant. « Une fois seulement, raconte la directrice, un père n’a pas digéré le fait que je lui dise que si son fils voulait venir à l’école en robe, c’était tout à fait OK. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles. »

le Figaro