19 décembre 2014 : Pinar Selek est acquittée !

Après 16 années d’acharnement judiciaire, le procès de ce jour a permis aux avocats de Pinar Selek de plaider toute la journée pour montrer l’absurdité et l’arbitraire de la procédure. Ils ont pointé une à une les fausses preuves qui ont permis de construire une histoire d’attentat fictif pour faire taire Pinar Selek et l’empêcher de poursuivre ses travaux de sociologue engagée auprès des groupes sociaux opprimés.

La solidarité internationale n’est pas un vain mot !

La mobilisation de toutes et tous à été fondamentale!


Pinar Selek est féministe, antimilitariste, sociologue, écrivaine et militante.

Née en 1971 à Istanbul, elle construit sa vie, ses engagements et ses recherches autour de l’adage «la pratique est la base de la théorie ». Sa mere, Ayla Selek, tenait une pharmacie lieu d’échanges et de rencontres et son père, Alp Selek, est avocat, défenseur des droits de l’Homme. Son grand père, Haki Selek, est un pionnier de la gauche révolutionnaire et cofondateur du parti des Travailleurs de Turquie (TIP). Apres le coup d’Etat militaire de 1980, Alp Selek est arrêté et maintenu en détention pendant près de cinq ans. Pinar Selek poursuit alors des études au lycée Notre dame de Sion où elle apprend le français et rencontre des objecteurs de conscience.

En 1992, elle s’inscrit en sociologie à l’université de Mimar Sinan d’Istanbul car elle pense qu’il faut «analyser les blessures de la société pour être capable de les guérir ». Tout en poursuivant ses études, elle passe beaucoup de temps dans les rues d’Istanbul avec des enfants et des adultes sans domicile fixe. Elle y liera de profonds liens d’amitié, mais choisira de ne rien écrire sur le sujet pour des raisons éthiques qu’elle développe dans son article «Travailler avec ceux qui sont en marge ». En 1995, elle cofonde l’Atelier des Artistes de Rue, dont elle sera la coordinatrice et auquel participent des personnes sans domicile fixe, des enfants, des tziganes, des étudiants, des femmes au foyer, des travesti-es, des transexuel-les, des prostitué-es.

Son mémoire de licence intitulé «Babìali à Ìkitelli : de l’odeur de l’encre aux immeubles de grande hauteur du quartier d’affaires » porte sur la transformation des organes de presse (journaux, radios et télévisions) en Turquie. En 1997 elle obtient son DEA de sociologie avec un mémoire intitulé : «La rue Ülker : un lieu d’exclusion », recherche menée sur et avec les transexuels et travestis. Cette recherche est publiée en 2001 sous le titre : « Masques, cavaliers et nanas. La rue ülker : un lieu d’exclusion». Pendant cette période et au-delà, elle est aux cotés des transexuels qui se battent contre la violence policière et nationaliste et ce livre, premier dans ce domaine, est alors très utile pour toucher l’opinion publique et construire la solidarité. Parallèlement, elle entame ses recherches sur la question kurde et effectue plusieurs voyages au Kurdistan, en France et en Allemagne, pour réaliser une soixantaine d’entretiens destinés à alimenter un projet d’histoire orale.

Elle a 27 ans et elle redouble d’énergie pour contribuer à enrayer les guerres et les mécanismes de pouvoir. Le11 juillet 1998 elle est arrêtée par la police d’Istanbul et torturée pour la forcer à donner les noms des personnes qu’elle a interviewées. Elle résiste et une nouvelle forme de torture est alors utilisée : elle est accusée d’avoir déposée la bombe qui aurait, le 9 juillet 1998, fait sept morts et plus de cent blessés au marché aux épices d’Istanbul. Plusieurs rapports d’expert ont beau certifier qu’il ne s’agit pas d’une bombe mais de l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz, c’est le début d’un acharnement politico-judiciaire qui dure depuis maintenant quatorze ans. Elle passe deux ans et demi en prison et une grande solidarité se met en place qui réunit de nombreux avocat-e-s, des intelectuel-le-s et beaucoup de personnes qu’elle a croisées au cours de ses engagements et de ses recherches. Sa sœur quitte son travail et reprend des études d’avocate pour se joindre à la défense. En prison, Pinar Selek écrit beaucoup, mais tous ses textes sont confisqués.

En décembre 2000 elle est finalement libérée et, concrétisant un projet mùri en prison, elle met à profit sa notoriété pour organiser une grande «Rencontre des femmes pour la paix » à Diyarbakir. Cette première mobilisation sera suivie d’autres rencontres qui auront lieu à Istanbul, Batman et Konya.

En 2001 elle fonde avec d’autres l’association féministe Amargi qui s’engage dans les mobilisations contre les violences faites aux femmes, pour la paix et contre toutes les dominations et qui ouvre la première librairie féministe au centre d’Istanbul.

L’association organise, en 2002, «la marche des femmes les unes vers les autres » où des milliers de femmes convergeront de toute la Turquie vers la ville de Konya. C’est aussi l’année ou la mère de Pinar Selek meurt d’une crise cardiaque.

En 2004, Pinar Selek publie Barisamadik («Nous n’avons pas pu faire la paix ») sur la culture militariste et les mobilisations pour la paix en Turquie. Elle crée avec d’autres en 2006 la revue théorique féministe Amargi qui est encore aujourd’hui vendue à des milliers d’exemplaires dans toute la Turquie et dont elle est toujours rédactrice en chef.

En 2006 elle est finalement acquittée après un travail énorme du collectif d’avocats pour faire tomber une à une toutes les accusations basées sur de faux témoignages extorqués sous la torture et la fabrication de fausses preuves. Mais la cour de cassation s’acharne et fait appel au verdict. Pinar Selek continue à organiser et à participer à de nombreuses rencontres et manifestations antimilitaristes. Elle écrit également dans divers journaux et magazines contre le militarisme, le nationalisme, l’hétérosexisme, le capitalisme, et toutes les formes d’exploitations et de violences.

En 2008 elle publie Sürüne Sürüne erkek olmak (« devenir homme en rampant ») sur la construction de la masculinité dans le contexte du service militaire. A la suite de cette publication elle fera l’objet d’intimidations, de menaces téléphoniques et d’articles diffamatoires dans la presse. Elle publie aussi Su damlasi («la goutte d’eau »), un conte pour enfant qui sera suivit de Siyah pelerinli kiz («la fille à la pèlerine noir ») et de yesil kiz («la fille en vert »).

Elle est de nouveau acquittée en 2008 mais un nouvel appel de la cour de cassation casse le verdict et la pousse à partir de Turquie. Elle reçoit une bourse du Pen club Allemand dans le cadre du programme « écrivains en exil » et c’est à Berlin qu’elle termine son premier roman Yol geçen hani («l’auberge des passants ») publié en Turquie en 2011 et en Allemagne la même année. Le 9 fevrier 2011 elle est acquittée une troisième fois mais, fait extrêmement rare dans la jurisprudence turque, la cour de cassation refait appel, pour la troisième fois également.

Le 24 janvier 2013, la 12ème cour d’Istanbul qui a été remaniée, annule sa propre décision d’acquittement et la condamne à la prison à perpetuité. Ses avocats font appel et dénoncent ce déni de justice et l’illégalité des procédures. Pinar Selek vit aujourd’hui en exil à Strasbourg et résiste à la torture psychologique que représente cet acharnement de 15 années contre elle et ses proches.

Elle a publié deux livres en français, « Loin de chez moi… mais jusqu’où ? » aux éditions iXes en mars 2012 et « La maison du Bosphore », son premier roman, aux éditions Liana Lévi. Elle adhère à l’association Chercheurs sans frontières-Free Science (CSF) dès sa création en 2011, pour défendre la liberté de la recherche dans le monde et protéger les chercheurs et chercheuses menacés. Inscrite à l’université de Strasbourg, elle prépare une thèse sur les mouvements d’émancipation en Turquie et s’investit au sein de l’association lesbienne et féministe La Lune.

Elle continue son engagement en Turquie par l’intermédiaire de la revue Amargi et en intervenant dans des rencontres grâce aux nouvelles technologies de communication.

Pinar Selek s’inscrit dans les luttes locales et internationales contre toutes les formes de pouvoir, de violence et d’exploitation en espérant voir un jour un monde de paix et de justice, pour toutes et tous.

www.pinarselek.fr