La footballeuse Stéphanie Roche a-t-elle marqué le plus beau but de l’année ?

Par Yann Bouchez et Adrien Pécout

Ferenc Puskas est un joueur qui pèse lourd dans l’histoire du football. Pas vraiment parce que cet attaquant hongrois des années 1950 présentait souvent des kilos superflus sur le terrain, qui semblaient s’envoler une fois balle au pied, mais surtout parce qu’il a marqué son sport, inscrivant plus de 700 buts au cours de sa carrière, terminée au Real Madrid. De quoi donner son nom au prix récompensant le plus beau but de l’année et qui a été attribué par la FIFA au Colombien James Rodriguez, lundi 12 janvier, quelques instants avant la remise du Ballon d’or à Cristiano Ronaldo.

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Pour la première fois depuis la création de ce trophée, en 2009, une femme figurait parmi les trois finalistes. Le footballeuse irlandaise Stéphanie Roche, qui jusqu’en ce début d’année évoluait à l’ASPTT Albi, en D1 féminine – elle va quitter le club du Tarn –, a été sélectionnée pour un but inscrit en première division irlandaise, à la fin de l’année 2013.

La vidéo de sa belle reprise de volée, postée par sa coach sur YouTube, a connu un impressionnant succès, avec plusieurs millions de vues. L’annonce de sa nomination parmi les dix buts sélectionnés pour le prix Puskas, cet automne, s’est accompagnée d’un soutien médiatique, de nombreux articles parus dans la presse française et internationale racontant cette histoire un peu folle.

Face au Colombien James Rodriguez et au Néerlandais Robin Van Persie, les deux autres finalistes, buteurs lors du Mondial au Brésil, la présence de cette footballeuse jusqu’alors inconnue apparaît comme une rafraîchissante surprise. Le football affiche souvent son soutien pour les « Petits Poucets ». Ce facteur pourrait s’avérer déterminant sachant que le vote pour le prix Puskas appartient aux internautes. Mais le but de Stéphanie Roche aurait-il mérité d’être désigné plus beau but de l’année ?

  • OUI, CAR « EST BEAU CE QUI PLAÎT UNIVERSELLEMENT »

Un contrôle du pied droit parfait à la réception d’une passe transversale. Une aile de pigeon pour se débarrasser de son adversaire, puis une reprise de volée du pied gauche, à l’entrée de la surface de réparation. Enfin, un ballon qui frôle le poteau droit de la gardienne adverse avant de finir sa course dans les filets. L’enchaînement de Stéphanie Roche, techniquement parfait, est celui que tous les enfants qui aiment jouer dans la cour de récréation rêvent de marquer une fois dans leur vie.

Peu importe le fait qu’il ait été inscrit lors d’un match de première division irlandaise avec le Peamount United contre Wexford, dans un championnat créé il y a quatre ans à peine. Peu importe que seules quelques poignées de supporteurs aient pu l’admirer en direct. S’il avait disposé d’une connexion Internet, Kant aurait à coup sûr encensé l’Irlandaise. « Est beau ce qui plaît universellement sans concept », aurait ensuite écrit le philosophe allemand en guise de commentaire, au bas d’une vidéo mise en ligne sur YouTube.

Pas la peine, cependant, d’avoir écrit la Critique de la faculté de juger pour défendre efficacement Stéphanie Roche. Un coup d’oeil à l’historique des premiers prix Puskas suffit déjà amplement. On s’y rend compte que les précédents lauréats n’ont pas eu besoin de marquer en finale de la Ligue des champions ou de la Coupe du monde pour figurer en tête du classement. Le but de Neymar en 2011 ? Inscrit dans un match de championnat brésilien. Celui du Slovaque Miroslav Stoch en 2012 ? Un missile décoché en championnat turc. Et que dire du retourné acrobatique de Zlatan Ibrahimovic, primé en 2013 ? Une fulgurance délicieuse, soit, mais inscrite à l’occasion d’un simple match amical Suède-Angleterre.

Des lauréats, pour l’heure, le prix Puskas n’en compte guère. Créé en 2009, ce trophée est presque aussi jeune que le championnat de foot féminin en Irlande. Raison de plus pour innover. Si les footballeuses peuvent prétendre au trophée de « meilleure joueuse de la FIFA » depuis 2001, le Ballon d’Or reste un trophée exclusivement masculin. En sacrant une femme, le prix Puskas aurait brisé les convenances et offrirait un symbole fort au football féminin. A quelques mois de la Coupe du monde 2015 au Canada (6 juin – 5 juillet), peut-être serait-il temps de rappeler aux sceptiques que, oui, une femme peut marquer des buts à faire pâlir d’envie les hommes…

Sur le terrain de la symbolique, faire passer l’avant-centre irlandaise avant James Rodriguez et Robin van Persie, c’eût été également rendre un juste retour d’ascenseur au « football d’en bas ». Jusqu’à son arrivée à Albi cette saison, la joueuse – qui a inscrit plus de 70 buts en trois saisons dans le championat irlandais – était contrainte d’entraîner des équipes de jeunes pour gagner sa vie.

Stéphanie Roche n’aurait pas gagné plus d’argent si elle avait remporté le prix Puskas, une récompense purement honorifique. Là n’est pas l’essentiel. Filmé d’une main incertaine, son but fleure bon ce football où l’on ne tape dans la balle que pour le seul plaisir du jeu. Un football où ni l’argent, ni les médias n’ont encore fait leur œuvre. Un football que tout le monde peut pratiquer et qu’il aurait été bon, enfin, de récompenser à sa juste valeur.

Stéphanie Roche est la première femme finaliste du prix Puskas.

  • NON CAR C’EST JUSTE UN (BEAU) BUT VIRAL

Depuis l’annonce de sa nomination parmi les dix finalistes du prix Puskas, le 12 novembre, la volée de Stéphanie Roche a suscité un concert de louanges. Nombre d’entre elles provenaient de personnalités – masculines, le plus souvent – du football qui n’avaient pas encore eu connaissance de ce but inscrit il y a plus d’un an, le 20 octobre 2013.

Ainsi de l’entraîneur du PSG, Laurent Blanc, qui a estimé « magnifique » l’enchaînement de la joueuse irlandaise, après l’avoir vu cet automne lors d’une conférence de presse sur une tablette numérique que lui tendait un journaliste. Et le technicien d’apporter alors quelques précisions à son jugement, comme pour agrémenter son compliment d’un bémol : « Si c’était en finale de la Ligue des champions (féminines) ou dans un match avec 100 000 personnes, ça aurait fait un grand bruit. »

L’entraîneur parisien souligne ainsi la principale faiblesse concernant la réalisation de Stéphanie Roche. Si l’enchaînement contrôle de la poitrine, aile de pigeon et reprise de volée est exquis de justesse technique, il a été réalisé lors d’un match de première division irlandaise, avec son club de Peamount United FC, face aux joueuses de Wexford Youths, devant quelques poignées de supporteurs. Pas d’enjeu majeur donc, ni de pression lors de l’exécution du geste.

Il est d’ailleurs possible de regretter que la FIFA n’ait pas trouvé, parmi les dix nominés, de but exceptionnel dans une compétition majeure de football féminin, telle que la Ligue des champions. En 2013, les dirigeants du football mondial avaient choisi de nominer la joueuse française de l’OL Louisa Nécib pour un but en D1 féminine et l’Australienne Lisa de Vanna, buteuse dans le championnat américain. Elles n’avaient pas été retenues parmi les trois finalistes. La FIFA a cette fois peut être cédé en voyant les clics engendrés par le but de la joueuse irlandaise.

La vidéo de Stéphanie Roche, postée sur Internet par la coach de la footballeuse, a été vue plus de 3 millions de fois. Un énorme buzz. Mais un but YouTube mérite-t-il vraiment d’être sacré plus beau but de l’année ? Répondre par l’affirmative reviendrait à nier l’une des caractéristiques du football, sport populaire par excellence : la beauté d’un match et des actions qui le composent se révèle souvent proportionnelle à l’intensité et à l’enjeu qui l’entoure. L’importance de la compétition lors de laquelle a été inscrit le but devrait rester un facteur déterminant.

La reprise du Colombien James Rodriguez, en huitièmes de finale de la Coupe du monde face à l’Uruguay, est sublime en elle-même, mais aussi parce qu’elle permet à son pays de s’ouvrir les portes des quarts de finale pour la première fois de son histoire. Quant à la tête plongeante de Robin Van Persie, bijou d’intelligence et d’instinct mêlés, elle fut le premier pavé jeté dans la mare espagnole et le premier indice du naufrage de la Roja au Brésil.

Ces deux buts sont devenus « mémorables », au sens où ils sont entrés dans l’histoire de la Coupe du monde. A ce titre, ces deux finalistes du prix Puskas méritent davantage de figurer au palmarès du plus beau but de l’année. Qu’ils soient récompensés ou pas, ils font désormais partie de l’Histoire de ce sport. Sans rien enlever à l’extraordinaire geste de Stéphanie Roche, sa volée ne pourra pas y prétendre, même si elle avait reçu le prix.

Reposant sur le vote des internautes, le prix Puskas aurait très bien pu être attribué à Stéphanie Roche. Plus que la récompense du plus beau but de l’année, on aurait alors assisté à la consécration d’un véritable phénomène viral. Pas sûr que cela soit la meilleure forme de reconnaissance pour le football féminin.

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